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Une vision de l'économie du livre en 2027 - Partie II

Dernière mise à jour : 9 mai 2022



Dans ce deuxième opus de notre série de projections à sept ans de l’écosystème du livre (éditeurs, logisticiens, auteurs, critiques, lecteurs, enseignants, libraires, associations, bibliothèques, imprimeurs, sites marchands), nous avons choisi de donner une tribune libre à un artiste âgé de dix-neuf ans. Il en aura donc vingt-six en 2027. Son écriture préfigure ce que nous pourrions lire une fois des ponts jetés entre orient et occident, entre académie Goncourt et écoles de Haïku, car un des grands enjeux à venir est la prise de conscience qu’au delà de l’essor économique sidérant du Grand Est (lequel ne s'arrête pas à Strasbourg), il porte aussi une dynamique culturelle d’avant-garde mondiale qui influence l'avenir de l'édition. Certes des expériences existent, des écrivains francophones vivent en Asie depuis longtemps, universitaires immergés (on pense à "Tokyo, petits portraits de l’aube" de Michaël Ferrier) ou amoureux du rapprochement culturel entre la France et la Chine (on pense à Christine Cayol et à Yishu 8) et bien d'autres pionniers visionnaires, mais ils restent encore, justement, des pionniers. Le souhait d’Alexis Puget, auteur libre de la tribune qui suit, est que les deux pôles d’aujourd’hui se fondent en un espace d’échanges stimulants à grande échelle, rompant avec ce que son oeil critique déjà bien affuté identifie comme des impasses créatives. A un horizon de sept ans, pas de langue de bois, pas de fioritures, pas de renvois de bas de page, pas d’explication, mais la priorité donnée à l’évocation dense, aux mots vus comme des déclencheurs, à une montée de sève poétique dans toutes les formes littéraires. Et tant pis si on ne comprend pas tout instantanément, tant mieux même, car le texte devient une réserve de bonheur à la façon d’une énigme ou d’un jeu, l’essentiel étant de prendre conscience de la qualité d’un moment à la fois fort et durable.


Place à la plume d'Alexis Puget, 19 ans. Pardon, 26 ans, car nous voilà projetés en 2026.





20h31. Encore une flopée d’euphémismes au vocabulaire étrangement pauvre à la télévision et des mensuels aux abords de presse people qui s’empilent sur ma table basse.


Dans cette société du spectacle, à l’heure du flash info, de la survie difficile du livre papier et de l’appauvrissement linguistique du néo-parler journalistique, il me semble indispensable de chercher ailleurs ce que les mots ont à offrir.


Là où l’intellectualisme français s’agite dans ses propres restes, encore hésitant quant à son renouveau prochain, la littérature asiatique contemporaine nous offre une percée inespérée dans l’indicible par un verbe humble et épuré, porte les interrogations langagières si chères au Nouveau Théâtre, embrasse tour à tour la violence des écrivains dégénérés ou de la Neue Sachlichkeit et les descriptions attentives aux beautés de la Nature de Flaubert. Intrinsèquement ambivalente et polymorphe, équilibriste, souvent sur le fil entre tradition la plus pure et déconstruction la plus extrême, et toujours dans la quête de l’intraduisible, n’est jamais dans l’esbroufe, parce qu’un chuchotement est plus lourd de sens qu’aucun cri.


La France s’est faite berceau des plus grands courants artistiques, moteur rayonnant de la culture occidentale depuis plus d’un millénaire, et ce malgré les dernières décennies montrant quelques signes d’essoufflement. En carrefour géopolitique majeur, elle s’est bâtie sur d’ingénieuses hybridations économiques et intellectuelles, et c’est là sa force. Savoir s’ouvrir, découvrir, sélectionner, rejeter et recommencer, dans une remise en question perpétuelle de ses prérequis esthétiques. Je vois dans la littérature (sud)est-asiatique une offrande au beau, au laid, à la langue et à la pensée, au sexe et à la spiritualité, la collision si nécessaire à notre bagage sclérosé : l’hybridation littéraire du XXIs.


Je me rappelle une conversation dans un bar un ou deux ans auparavant. Une amie musicienne s’évertuait à me faire comprendre l’importance du choix de notation d’une fréquence x dans l’appréhension globale d’une pièce sonore. Ainsi, à l’octave zéro de la gamme tempérée, on a :


Fa# = Solb = 46,25 Hz


Mon premier contact conscient aux charmes discrets de la traduction. Les signes s’organisent autour de nous en constellation, des particules sourdes et vibrantes dont l’auteur tisse un maillage complexe qu’il revient au lecteur de défaire. Ces ouvrages sont des objets du voyage, des objets-liens entre des mondes hypothétiques et l’ici et maintenant du lecteur. Abolies les frontières de l’espace et du temps ! Les errances de traduction de la pensée pure au mot créent les interzones du réel et de son espace imaginaire. On évolue alors dans le champs polaire entre langage et silence, où le silence est palpable et le langage vraie matière. Les mots seuls, distribués épars dans la page, bien que traduits en français, sont des signes ouvrant un autre langage. Ils définissent des diagonales - peut-être des lignes de fuite ?- comme un réseau secret sous-tendant le moindre regard, saturant chaque respiration.


épuiser l’image. arriver à la trame. écrire l’espace.


L’expérience quasi synesthésique de la lecture est à mon sens la continuité logique de la translation d’un monde globalisé et sur-informé qui sollicite l’ensemble des sens à outrance. On se retrouve bien souvent à la croisée de plusieurs disciplines ; là où Kawabata peindra un paysage avec la rigueur du scientifique ou construira son récit en plan séquences dignes d’un Godard, Ogawa fera peut-être naître le parfum d’un cahier de calligraphie pour enfant de son écriture impressionniste, alors que Murakami dressera la musicalité radiophonique d’un banal fantastique.


Une évasion vers l’intériorité ou les joies de la mort du narrateur omniscient.


On a tué le narrateur omniscient. Vive le narrateur en quête de soi et de son néant - les amateurs de Beckett, Brecht et Novarina trouveront d’ailleurs immanquablement leur bonheur dans des pépites du XXIs comme Manuscrit Zéro ou La Fin des Temps, le premier dans une quête de l’essence du texte et de sa légitimité à l’écrire, le second dans un effondrement de toutes les barrières psychologiques qui forment une personnalité et sa conscience d’être.


2027, c’est le temps des textes ouvrant des mondes inexorablement opaques, de l’accès plus facile à ces oeuvres dont seuls les grands noms étaient jusqu’alors traduits, et des lecteurs qui donnent leur chance à des textes plus courts, des essais, des textes libres qui sauront à coup sûr nous surprendre et nous transporter, bien que loins des codes classiques du roman que nous affectionnons.


Signé : Alexis Puget




Inked by Scenent 被場景繪製 Bèi chǎngjǐng huìzhì

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